Les référendums sont supposés impliquer les citoyens dans la politique et rendre les gouvernements plus à l’écoute. S’ils fonctionnaient, les Européens pourraient être particulièrement satisfaits de leurs démocraties car les référendums sont en augmentation. Jan Herfkens, étudiant en droit de 25 ans installé à Amsterdam, n’a pas voulu voter lors du récent référendum organisé aux Pays-Bas sur l’accord commercial de l’Union européenne avec l’Ukraine. “Nous avons déjà un grand référendum” dit-il à propos des législatives nationales. Il préfère élire des représentants qui traiteront ces questions politiques, et non voter lui-même. Le rejet, par 61?% des électeurs, de l’accord commercial, n’a selon lui provoqué que “désordre et chaos” pour le gouvernement. “Il préfère élire des représentants qui traiteront ces questions politiques, et non voter lui-même” . Mais l’avis de M.?Herfkens semble être minoritaire et l’on assiste en Europe à une vague de référendums. Dans les années 70, on en comptait en moyenne trois chaque année. Aujourd’hui, ce chiffre est de huit, sans compter la Suisse et le Liechtenstein, deux pays aux longues traditions de démocratie directe. Le référendum britannique sur la sortie ou non de l’Union européenne est prévu pour le 23?juin. L’Italie en aura un sur la constitution avant octobre. Viktor Orban, Premier ministre hongrois, en prévoit un sur le projet européen de répartition des migrants. Aux Pays-Bas, les activistes se préparent à trancher sur l’accord commercial avec le Canada et le TTIP (Partenariat transatlantique sur le commerce et les investissements), autre traité commercial. Les fans de la démocratie directe disent qu’elle implique les citoyens. Les référendums “stimulent le débat”, assure Anne-Marie Mineur, une députée socialiste néerlandaise. En Suisse, les électeurs reçoivent des documents couverts de graphiques sur les questions posées à chaque “votation”. Depuis le référendum en Écosse de 2014 et la décision de rester dans le Royaume-Uni, l’intérêt pour la politique a fait un bond, confirme Malt Qvortrup de l’université de Coventry. Les adhésions au parti pro-indépendance, le Scottish National Party, ont effectivement explosé?: de 25?000 avant le référendum à plus de 100?000 aujourd’hui. Plus des trois cinquièmes de la population de l’Irlande ont voté au référendum sur le mariage entre personnes du même sexe, et des centaines de jeunes expatriés qui étaient encore inscrits sur les listes électorales ont pris l’avion pour voter. Mais les référendums récents ne sont pas uniquement de bons exercices d’engagement civique. Ils trahissent aussi une hostilité croissante envers la politique et la colère envers la classe dirigeante. Les militants des vieux partis politiques s’évaporent, tandis que les partis populistes, anti-Europe, gagnent du terrain. Les gouvernements, accusés d’être élitistes et coupés des réalités, trouvent difficile de résister à l’envie de soumettre des questions sensibles au vote populaire. Selon l’institut de sondages Ipsos-MORI, 58?% des Italiens et 55?% des Français veulent maintenant un référendum sur la participation de leur pays à l’Union européenne (même si un pourcentage moindre souhaite vraiment que France quitte l’Union). Certains référendums sont organisés par des partis politiques de premier plan afin de détourner la pression des populistes, comme ce fut le cas pour le Brexit. D’autres y sont contraints par des leaders populistes qui rassemblent leurs munitions contre des politiques européennes qu’ils désapprouvent. M.?Orban, qui se bat contre le plan de l’Union européenne prévoyant de répartir les réfugiés entre les États membres, à l’intention de poser la question suivante à ses compatriotes?: “Êtes-vous d’accord avec le fait que l’Union européenne a le pouvoir d’imposer l’installation obligatoire de citoyens non hongrois en Hongrie, sans l’approbation de l’Assemblée nationale de Hongrie??” (vous noterez le choix scrupuleusement neutre des mots…) Par ailleurs, d’autres référendums souvent à connotation anti-européenne sont réclamés par des groupes de citoyens sur un point en particulier. Le vote sur l’accord commercial entre Pays-Bas et Ukraine a été initié par des activistes euro-sceptiques qui ont profité d’une nouvelle loi néerlandaise. Elle permet d’organiser un référendum sur n’importe quel sujet à condition de réunir 300?000 signatures. Le vote référendaire est devenu une soupape de délestage du mécontentement envers l’Europe, et pas seulement à propos des accords commerciaux. “Certains référendums sont organisés par des partis politiques de premier plan afin de détourner la pression des populistes, comme ce fut le cas pour le Brexit” Cette fièvre du référendum pose plusieurs problèmes. Pour commencer, ils rendent toujours plus difficile un consensus sur les politiques transnationales. Les traités sont généralement signés par les gouvernements, puis ratifiés par les parlements. Ajouter des référendums à ce processus complique énormément les choses. “Il est presque impossible maintenant de voir comment 28 États ratifieraient un traité de réforme de l’UE” constate Stefan Lehne du think tank Carnegie Europe. Les électeurs minoritaires de tout petits pays sont en mesure d’enliser des réformes concernant l’ensemble de l’Europe?; 32?% seulement des électeurs néerlandais ont pris part au référendum sur l’Ukraine. Mais ils pourraient handicaper le projet européen. “L’Europe ne peut pas exister en tant qu’union de référendums” dit Ivan Krastev, chef du Centre for Liberal Strategies, un think-tank bulgare. Les référendums peuvent produire des politiques incohérentes. Les électeurs qui répondent à des questions de façon isolée peuvent approuver des mesures contradictoires comme par exemple plus de dépenses publiques et de grosses réductions d’impôts, comme ils l’ont souvent fait en Californie. La démocratie directe n’a pas le pouvoir d’abolir les mathématiques par magie. Les libéraux ont applaudi quand les Irlandais ont plébiscité le mariage gay en 2015. Mais certains protestent, les droits humains ne devraient pas être suspendus à un vote majoritaire. Ce qu’une majorité accorde, elle peut aussi l’abolir. L’idée que le référendum encourage l’implication dans les affaires politiques est aussi sujette à débats. Comme ils ont proliféré, la participation moyenne aux référendums nationaux est tombée de 71?% au début des années 90 à 41?% ces dernières années. Sur huit référendums en Slovaquie depuis 1994, seul un, sur l’adhésion à l’UE, a obtenu une participation plus importante que le seuil des 50?% requis pour la validation du résultat. Une telle apathie peut se révéler coûteuse. En Italie, le référendum d’avril dernier voulu par les régions (et auquel le Premier ministre Matteo Renzi s’opposait) sur l’interdiction ou non des puits de pétrole offshore n’a pas atteint les 50?% de participation requis – mais il a cependant coûté autour de 300?millions d’euros.